1er couplet :
On croit sans doute que je débloque
Qu’en permanence je suis loufoque
Toutes ces fausses idées qu’on colporte
Me gâchent la vie et m’insupportent
La première partie de ce premier couplet évoque les difficultés sociales que rencontrent de nombreuses personnes bipolaires dans leur quotidien. Notamment celles d’avoir perdu de leur crédibilité à la suite d’une crise maniaque.
Même si elles retrouvent un état d’humeur normale, leur comportement passé leur colle souvent à la peau… si bien qu’elles ne sont plus jamais considérées comme des personnes normales par certains proches. L’article de Wikipedia aborde d’ailleurs cette question en ces termes :
« Un des aspects dramatiques de ce trouble mental est que, lors de la phase maniaque, l’individu peut se discréditer gravement sur le plan social et professionnel. Une fois la phase de manie passée, lorsqu’il se rend compte de la manière dont il agit, l’individu est souvent accablé ; cela s’ajoute à son sentiment de dépression. »
On comprend mieux pourquoi il est important de communiquer correctement sur cette maladie… faute de quoi on ne fait qu’accroitre l’abattement du patient.
Même dans la période d’humeur normale qui suit les troubles, la personne étiquetée comme étant bipolaire aura à subir des regards, des remarques ou encore des attitudes désagréables. C’est la raison pour laquelle on ne saurait trop insister sur le fait que les publications destinées au grand public devraient toujours évoquer cette période d’humeur normale.
Hélas, la réalité est toute autre : à cause de cet oubli fréquent, on ne fait que renforcer le sentiment erroné d’une partie de la population qui considère qu’une personne bipolaire n’est jamais normale. Moralité : en cherchant à informer, ces articles désinforment.
Cette première partie parle donc bien des difficultés sociales que pose cette maladie mais également des lacunes de communication qu’on rencontre trop souvent… surtout sur Internet.
Ok, j’ai parfois des désordres
Si grands que je m’fais du cinoche
Des épisodes où j’suis amorphe
Mais l’plus souvent, je suis au top
La seconde partie de ce premier couplet évoque les trois phases que connaissent les personnes bipolaires. Il n’est donc pas question de déni dans les paroles de cette chanson. En effet, le fait de « se faire du cinoche » se rapporte aux délires auxquels font malheureusement face les patients en période de crise.
Voici ce que dit Wikipedia sur cette période d’élévation anormale de l’humeur :
« Des délires, comme chez les individus schizophrènes, sont diagnostiqués et peuvent être de différents types (par exemple sur le thème du complot ou sur un thème mystique, le délire de grandeur est cependant plus fréquent). En phase de manie, l’individu peut faire des gestes dangereux pour lui et pour les autres. C’est alors un cas d’urgence psychiatrique. L’individu doit être hospitalisé »
Sont ensuite évoquées, les périodes de dépression (pouvant être très longues) pour se terminer par l’évocation de l’humeur normale au cours de laquelle les personnes qui ne connaissent pas d’autres problèmes sont généralement tout à fait équilibrées. Cette partie rend donc compte des 3 périodes possibles que le malade rencontre, en insistant sur le pôle de normalité.
En effet, l’action des médicaments aide aussi à prévenir les périodes de crise ou de dépression… de sorte que l’humeur normale peut très bien se révéler prédominante, particulièrement chez les personnes répondant bien à leur traitement.
Bien entendu, il est primordial de préciser une chose concernant cette période d’humeur normale : chacun a sa nature. Comme tout le monde, la personne bipolaire aura donc ses qualités et ses défauts. Dès lors, c’est souvent à tort qu’on perçoit la manifestation de ces derniers comme étant un signe de la maladie.
Refrain :
Alors…
Je préfère tripolaire
À ce terme pas si clair
Oui, je préfère tripolaire
À ce terme lacunaire
En introduisant le terme « Tripolaire », le refrain propose en fait une réflexion critique sur l’appellation de la maladie.
Effectivement, la bipolarité est définie par trois types d’humeur et non deux. Le terme « bipolaire » n’est donc pas si clair que cela sur ce point. On peut même dire qu’il est tout simplement lacunaire. En effet, l’humeur normale y est complètement oubliée. Cette problématique est d’ailleurs détaillée dans l’analyse du second couplet.
Second couplet :
Y a peut-être quelque chose qui cloche
Y a sans doute quelque chose qui choque
J’ai mes humeurs, j’ai mes époques
Mais aussi celles sans anicroches
La première partie du second couplet s’entame par le rappel qu’il y a bien quelque chose qui cloche chez la personne bipolaire. Les périodes de délires sont même parfois choquantes pour l’entourage de celle-ci. Cependant, le texte précise bien que ces variations d’humeur sont circonscrites à certaines époques de la vie du patient et qu’il ne s’agit pas de brusques changements s’opérant d’un jour à l’autre pour le bipolaire moyen.
Encore une fois, cette fréquence et durée de périodes de trouble peuvent être rapprochées ou très espacées dans le temps selon la personne. Cela dit, si l’on évoque les différentes époques de trouble, il est bon de spécifier à nouveau qu’elles sont entrecoupées d’époques d’humeur normale pouvant, dans certains cas, durer plusieurs années… et qui se caractérisent par l’absence d’incidents.
Même si j’ai pas l’esprit ad hoc
Ça ne fait pas d’moi un médiocre
Mais leur formulation idiote
Jamais la norme, elle ne l’évoque
La deuxième partie de ce second couplet va même plus loin : elle dit bien que la personne bipolaire n’a certes pas une psyché conventionnelle mais que ça ne fait pas pour autant d’elle quelqu’un de médiocre. En effet, il existe une croyance fort répandue selon laquelle le bipolaire serait un être intellectuellement diminué. Ceci est tout à fait faux ! Il s’agit bien d’un trouble de l’humeur et non de la personnalité ou de l’intelligence. On note d’ailleurs une prévalence plus élevée de cette maladie chez les personnes à haut potentiel.
Enfin, la chanson évoque clairement le problème lié à la formulation qui a été choisie pour nommer la maladie. Ce point n’est d’ailleurs pas sans impact sur les idées reçues qui circulent sur le sujet.
Que faut-il penser du terme « bipolaire » ? Si l’on admet qu’il y a bien trois humeurs dans la bipolarité… alors le terme propre devrait être « Tripolaire ». En effet, si vous mettez trois moteurs à un avion, vous ne l’appelez pas un bimoteur. Voilà pourquoi la formulation « bipolaire » évoquée par le texte est qualifiée d’idiote.
Sans doute peut-on trouver matière à débat sur cette question mais elle a au moins le mérite d’être posée.
Par exemple, on pourrait rétorquer que le terme « bipolaire » évoque les deux extrêmes entre lesquelles le patient oscille et que c’est donc une appellation très claire… en tout cas pour les professionnels de la santé. Néanmoins, la personne bipolaire connait aussi des périodes d’humeur normale de durée variable selon l’individu. En conséquence, se limiter à considérer ces périodes comme un état transitoire négligeable est tout aussi erroné. Comme le fait la définition psychiatrique actuelle, l’humeur normale doit donc bien être considérée comme un pôle à part entière.
En tout état de cause, et comme cela a été dit précédemment, l’absence d’évocation de l’humeur normale dans une terminologie (ou pire encore dans une publication) revient à laisser croire au grand public que la personne bipolaire n’est jamais normale… ce qui est tout à fait inexact et peut s’avérer dramatique pour le quotidien de ces personnes… à qui on n’accorde souvent pas tout le crédit qu’elles méritent en temps normal.
Au contraire de « bipolaire », le terme « Tripolaire » a quant à lui l’avantage de ne pas prêter autant à confusion pour le grand public.
C’est d’ailleurs cette conclusion à portée sociale qui est martelée jusqu’à la fin du morceau.
Conclusion :
Le message de cette chanson est donc bien le suivant : si vous venez à parler de la bipolarité, il faut aussi parler de l’humeur normale. C’est capital pour les personnes qui souffrent de ce trouble d’être reconnues comme des êtres humains normaux… mais qui traversent cependant des périodes difficiles au cours de leur existence. Quand seuls les aspects pathologiques de cette maladie sont évoqués, cela revient à manquer cruellement d’humanité. En effet, l’humeur normale comporte une dimension sociale qui doit absolument être prise en considération.
Pour ce qui concerne la symbolique utilisée dans le clip de « Tripolaire », elle sert à rappeler ce que nous enseigne cet objet du quotidien : « Une balance à plateaux n’a pas deux… mais trois positions possibles. On a tendance à oublier celle de l’équilibre ».
Une dernière précision : cet article s’attache évidemment à décrire les cas communs et non les exceptions. Ces dernières méritent certainement un développement particulier mais c’est alors aux publications spécialisées qu’il appartient sans doute de s’y consacrer.